Partager la double casquette « soignant – patient partenaire », témoignage de Philippe Delpierre

17 mars 2022

Philippe choisit le crayon comme objet pour se présenter.

Je pourrais me présenter à partir d’un crayon car je suis beaucoup dans le travail par l’écrit et je dessine beaucoup. C’est un objet que j’ai toujours en main, que j’ai toujours près de moi. C’est un objet qui est assez stable et avec lequel on peut faire beaucoup de choses. C’est un objet qui me va bien, je pourrais dire une extension de moi-même, donc je dirais que c’est à la fois un anti-stress, qui m’aide à me concentrer, qui m’aide à me focaliser. C’est un objet assez simple mais qui catalyse beaucoup de choses chez moi.

Il est directeur d’une association qui s’appelle les entreprises contre le cancer.

C’est un poste que j’occupe depuis presque 8 ans et dans lequel j’apprends tous les jours, qui évolue énormément, me laisse beaucoup d’autonomie et dans lequel je me sens de mieux en mieux année après année.

Infirmier de formation, son chemin de vie l’a conduit vers ce choix de raison, devenu un choix de coeur.

Au départ, cela a été un peu contraint et forcé . J’ai eu un accident de vie dans mon parcours professionnel hospitalier et j’ai eu le choix entre continuer, et c’était très compliqué pour moi même impossible, et changer, mais pas tant que cela, en restant quand même dans le domaine de la santé. Et j’ai eu la chance d’avoir ce poste au sein des entreprises contre le cancer qui a évolué depuis, parce que j’ai commencé comme délégué général. Mais je vais être honnête, ce n’était pas un premier choix. Ce n’était pas un choix de cœur et plutôt un choix de raison et finalement, c’est devenu un choix de cœur.

J’ai travaillé pendant environ 15 ans à l’hôpital. J’ai commencé comme agent hospitalier (ASH). C’est un métier qui n’existe quasiment plus et c’est bien dommage.
Dès que j’ai intégré l’hôpital, mon rêve vraiment, c’était vraiment un rêve c’était d’être infirmier. Je ne voulais pas être médecin. Du coup, j’ai fait la formation professionnelle, je suis devenu aide-soignant et au bout de quelques années j’ai fait la formation d’infirmier. C’était vraiment pour moi le rêve absolu. J’ai travaillé tout de suite dans le service que je voulais, je voulais travailler aux urgences.

Malheureusement au bout de quelques années, je me suis fait agresser et je suis tombé dans le coma. Cela a été très dur et très violent, ce fut une période très difficile et la question de la reconversion professionnelle s’est posée. Il y avait à la fois les séquelles de l’agression, le positionnement professionnel, les rapports avec la hiérarchie, avec les collègues, avec la famille et comment gérer tout cela. J’ai dû faire un choix entre rester et partir et finalement je suis parti.

Son choix s’est tourné vers le monde associatif en lien avec la santé, étant sensibilisé à la cause du cancer.

Je restais dans le domaine de la santé et c’était un domaine auquel j’étais déjà sensibilisé. Ma mère travaillait aussi dans une association et nous étions très sensibilisés à la cause du cancer.

Le cancer a vraiment cette spécificité que tout le monde a un lien avec le cancer.

Pour moi, cela avait du sens et c’était quelque chose que j’avais pu observer dans le milieu hospitalier. C’est ce qui se rapprochait le plus de ce que j’avais connu en tant que soignant au niveau du sens, notion très importante pour moi. Je voulais garder un métier dans la santé, dans le soin et c’était ça qui s’en rapprochait le plus.

Après s’être formé, il a la double casquette soignant – patient partenaire.

J’ai mis du temps à m’approprier cette double casquette car pour moi il y avait un peu une antinomie entre ces deux dénominations. Puis quand j’ai intégré la formation de patients experts, je suis arrivé en tant que soignant, mais en tant que soignant qui avait eu un accident en lien avec son métier parce que j’ai été agressé sur mon lieu de travail et j’étais en perte de légitimité.
Dans ma promotion, il n’y avait que des patientes touchées par le cancer.

Ce qui fut assez fort, c’est que ce sont les patients qui ont soigné le soignant.

J’ai retrouvé une forme de légitimité et de concordance à travers cette formation. Ce qui était étonnant c’est que nous avions un parcours de santé complètement différent mais que l’on parlait le même langage. Nous nous retrouvions dans les mots, dans l’expérience, dans le vécu. Il n’y avait pas toute cette différence que j’imaginais. Et finalement, ça m’a fait prendre conscience que j’étais patient, ce que je n’avais pas du tout saisi. En prenant conscience de cela, je me suis réconcilié avec le soignant. L’avantage de cette double casquette c’est qu’en tant que soignant je sais ce que l’on exige du soin. Et maintenant, je comprends mieux aussi la position du patient et ses problématiques. 

D’avoir ces deux visages, je pense que cela me permet à la fois d’être un meilleur soignant et aussi, d’être un représentant pour les patients un peu plus objectif vis à vis notamment du corps médical.

J’ai suivi la formation à l’Université des patients à la Sorbonne de Catherine Tourette-Turgis. Il s’agit d’un cursus universitaire, diplôme reconnu d’État. J’ai donc été diplômé et j’ai fait un autre D.U toujours en lien avec des patients sur la relation soigné/soignant consciente et inconsciente à l’université de Clermont-Ferrand. C’ était aussi en lien avec cette thématique, puisqu’ il s’agissait de jeter des ponts entre le soignant et le patient pour mieux communiquer, se comprendre.

Sa mission au sein des entreprises contre le cancer est riche et variée.

Je m’occupe principalement de la recherche. Je m’assure de trouver des financements dans les entreprises, financer des jeunes équipes de recherche. Je fais du micro financement de jeunes équipes de recherche qui ont besoin de faire leurs premières publications. Et pour ce faire, j’anime notamment un conseil scientifique indépendant avec différents représentants dans les grandes instances de la région parisienne comme le CNRS, l’Inserm, l’Institut Curie, l’Institut Gustave Roussy, l’Institut Jacques Monop, l’AP-HP. Je suis également chargé du volet prévention et sensibilisation en entreprise.

Je vais dans les entreprises pour les aider à gérer la question du cancer en accompagnant des salariés touchés par le cancer mais également des aidants. Je fais aussi de l’accompagnement au deuil et je fais de l’action sociale en aidant les personnes impactées économiquement par le cancer. Ce sont tous ces volets là que je chapeaute avec l’équipe. Pour synthétiser, nous luttons contre le cancer en ayant une action au sein des entreprises.

C’est l’aspect relationnel qui l’anime en tout premier lieu.

J’adore l’aspect relationnel. Mais ce qui me motive vraiment, c’est le challenge d’aller en entreprise. C’est une tâche difficile d’aborder le sujet du cancer en entreprise parce que les gens n’ont pas forcément envie d’en entendre parler, parce que le cancer est quand même encore beaucoup associé à la mort, à des choses péjoratives.
J’arrive avec un sujet qui n’est pas léger. J’aime bien l’aspect défi, je n’ai jamais rencontré d’opposition, parce que quand on l’amène de manière adaptée on arrive au contraire à lever des choses. Quand on commence à en parler, les gens s’emparent du sujet, ils se rendent compte qu’ils en savent beaucoup et qu’ils ont ce lien avec le cancer de manière directe et indirecte. Et j’aime leur apporter des réponses, des petites astuces très pratiques pour arriver à en parler déjà et même à interagir sur le sujet. Parce que souvent, l’écueil que l’on retrouve en entreprise, c’est que les gens ont envie de bien faire mais ne savent pas comment s’y prendre.

C’est que c’est un sujet qui fait peur. Il y a une forme de retrait et finalement, les collaborateurs se rendent compte que ce n’est pas un sujet si compliqué que cela à aborder. Simplement, il faut laisser venir les choses et avec des choses très simples on arrive à transmettre.
Une problématique qui revient souvent c’est que j’ai envie d’être là pour mes employés, j’ai envie d’être là pour mes collègues, mais je ne sais pas comment en parler, comment faire et j’ai peur de mal faire. Et finalement, quand je leur explique comment faire, ils se rendent vite compte que c’est à leur portée et à la portée de tous, que c’est assez instinctif.

Un conseil pour les collaborateurs est de ne pas confondre temps et qualité.

Souvent pour eux le facteur limitant en entreprise c’est le temps. Les gens confondent souvent le temps et la qualité. Je leur dis qu’en cinq minutes, ça vaut des entretiens qui peuvent durer une demi-heure, voire une heure. Aujourd’hui, notamment avec les portables, avec les ordinateurs, on est extrêmement sollicités. Alors que prendre cinq minutes dans un endroit où vous avez fermé la porte, où vous laissez votre portable, où vous avez accordé un vrai temps à la personne, vous avez une vraie disponibilité d’écoute.
Posez-vous et écoutez la personne vraiment pendant cinq minutes. Le but étant de consacrer un vrai temps d’écoute à la personne dans un lieu où personne ne passe devant la porte. C’est une méthode qui a été prouvée et testée et je n’ai que des retours positifs.
Cela peut ensuite donner lieu à un autre rendez-vous où on aura plus de temps.

Je dirais aussi que c’est important d’accepter l’aide que l’on vous donne quand on a un cancer.
Le cancer touche tellement les gens de manière intime, vient bousculer le travail , l’entourage, c’est très difficile à gérer et c’est pour ça qu’il ne faut pas se décharger de l’aide qu’on peut avoir.

En France, une personne sur dix aide actuellement un proche touché par le cancer et 38 % des Français déclarent avoir aidé un malade atteint du cancer dans les cinq dernières années. Philippe livre quelques conseils pour les aidants.

Je dirais de ne pas vouloir tout faire, tout contrôler, de se mettre une pression folle et ne pas oublier de penser à soi. On a souvent la volonté d’être présent au maximum pour la personne mais c’est primordial de s’octroyer des pauses, de penser à soi. Souvent, l’état de santé des aidants se dégradent car ils s’oublient et il faut être très vigilant à cela.

 Je dis toujours, que le cancer ce n’est pas un sprint, c’est un marathon.

Donc il faut avoir du souffle et ne pas partir fort et vite dans le cancer.
On a envie de tout donner tout de suite, de montrer qu’on est présent mais il ne faut pas oublier que c’est un combat sur la durée.
Pour résumer, il ne faut pas forcément tout donner tous les jours, mais donner un petit peu chaque jour et ne pas s’oublier.

Sur Coline, on est convaincu que les épreuves dans la vie nous renforcent, nous amènent vers d’autres chemins de vie, on veut avoir une approche optimiste. Qu’est ce qui est source d’inspiration dans ton travail, dans ton quotidien ?

Moi, ce que j’aime dans mon métier c’est que j’en apprends tous les jours. On arrive avec beaucoup de représentations, de certitudes et en fait il y a toujours une part d’imprévus qui nous enseigne beaucoup. C’est l’aspect relationnel, inattendu qui est inspirant.

Il travaille actuellement sur un projet qui valorise les compétences psychosociales des jeunes aidants.

Nous avons un projet jeune aidant c’est-à-dire que nous avons créé une plateforme pour les jeunes aidants de 14 à 25 ans qui accompagnent un proche dans la maladie. L’objectif est d’accompagner les entreprises à accueillir ces jeunes en prenant en compte leurs spécificités en matière d’organisation et aussi en matière de soft skills. Parce que ces jeunes-là ont des compétences psychosociales qui sont très recherchées. Le jeune aidant n’en a pas forcément conscience donc on aimerait que les entreprises aident à révéler ce potentiel et on voudrait aussi que les entreprises soient sensibilisées, se rendent compte de la richesse que ces jeunes ont à apporter. On les aide dans leur recherche d’emploi et intégration dans l’entreprise.

Nous concluons sur un portrait chinois.

Si tu étais un livre ?

Je dirais mon livre de chevet, Bilbo le Hobbit. Parce que je suis un grand rêveur et que j’ai toujours été rêveur depuis tout petit et c’est un personnage qui au départ n’a pas beaucoup de potentiel et se révèle au fur et à mesure de l’histoire. Au-delà du côté fantastique, c’est vraiment un parcours personnel qui me parle.

Un film ?

Forrest Gump, j’ai eu un parcours scolaire très négatif, des gens projettent des choses sur vous et finalement vous n’êtes pas du tout ce que les gens imaginent de vous. Il y a un beau message derrière ce film.

Un plat ?

Je serai une pizza hawaïenne car ce sont plein d’ingrédients qui sur le papier ne vont pas forcément ensemble mais finalement cela donne un bon petit plat 🙂

Une chanson ?

Blackbird des Beatles, je l’aime bien, elle me correspond.

Une citation ?

« La force de regarder demain » d’Aimé Césaire. C’est une phrase qui me parle que j’avais vu il y a quelques années affichée partout dans Paris qui m’a fait un électrochoc, je la trouve très forte comme phrase.

Un grand merci pour ce témoignage, Philippe partage les valeurs de Coline, nous souhaitons aussi lever les tabous de la maladie chronique en entreprise

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