“C’est comme être englouti par une vague immense, où tout semble s’effondrer.” Amanda témoigne.

7 mars 2024
Amanda Olivon, 48 ans, mère de deux enfants qu’elle élève seule, a commencé sa carrière dans le commerce, travaillant pour de grandes entreprises de luxe pendant une quinzaine d'années en tant que manager. À 36 ans, elle a été concernée par un premier cancer du sein, suivi d'une récidive à 41 ans. Durant son hospitalisation en 2016, elle a découvert l'Université des Patients, où elle a trouvé une nouvelle voie professionnelle axée sur l'engagement auprès des pairs et sur l'amélioration de la qualité  des prises en soins. Motivée par son expérience personnelle avec la maladie, elle s'est engagée dans un Diplôme Universitaire sur l'accompagnement des patients en cancérologie. Par la suite, elle a travaillé pour l'Oncopôle de Toulouse en éducation thérapeutique, puis a occupé un poste similaire à Montpellier. Actuellement, elle est chargée de projet au Centre Opérationnel du Partenariat en Santé en Occitanie, où elle œuvre pour promouvoir la culture du partenariat en santé et développer les pratiques des acteurs du domaine.

Je ne sais pas si tu connais, mais il y a un podcast qui s’appelle : “un cadeau mal emballé”. Est-ce qu’aujourd’hui, avec du recul, tu pourrais dire que le cancer a été pour toi : “un cadeau mal emballé” ?

Avec le recul que j’ai aujourd’hui, oui pour moi ça a été un cadeau mal emballé. Mais au moment où l’on vit l’expérience, c’est loin d’être le cas. Au contraire, c’est un cataclysme à tous les niveaux, physiquement, psychiquement, socialement, émotionnellement. 

“C’est comme être englouti par une vague immense, où tout semble s’effondrer.”

Je me suis sentie incomprise, jonglant avec mes enfants en bas âge et des défis immenses au quotidien. Mais malgré cette épreuve, cela m’a amenée à découvrir ma propre vulnérabilité et à puiser une force insoupçonnée pour surmonter chaque jour. Le cancer a radicalement changé ma perspective sur la vie. A ce moment-là, je me suis dit que je n’avais plus d’option, il fallait que je réussisse ma vie, dans des valeurs qui sont importantes et qui font sens pour moi. Aider les autres était déjà une part importante de ma vie, mais désormais, c’est devenu ma mission professionnelle. Ce cheminement m’a conduit à découvrir la force incroyable et l’impact puissant qu’offrent la voix et  l’expérience des patients

Est-ce que tu pourrais nous décrire un peu plus ton rôle de patiente partenaire, ton rôle dans la structure dans laquelle tu travailles et puis détailler un peu plus ton activité d’indépendante ? 

En tant que patiente partenaire, j’ai des missions variées, avec trois statuts : salariée, travailleuse indépendante et personne en invalidité. En tant que chargée de projet au Centre opérationnel du partenariat en santé (COPS), je soutiens le développement des pratiques de partenariat en santé. Cela inclut l’accompagnement des patients partenaires dans leur professionnalisation, la facilitation de la collaboration entre équipes et patients, ainsi que la promotion du partenariat en santé dans différents établissements de santé en Occitanie. En parallèle, en tant qu’indépendante, je suis coach certifiée, offrant des séances individuelles et collectives, ainsi que des formations sur le partenariat en santé auprès de divers publics, y compris les professionnels de la santé et les étudiants en médecine. Ma mission principale est de promouvoir le rôle du patient partenaire et d’encourager une collaboration plus étroite entre les acteurs de la santé.

Est-ce que toutes ces casquettes t’anime et te plaisent ?

Quand je suis devenue patiente partenaire salariée pour la première fois en 2018, j’ai réalisé que je devenais patiente dans toutes les dimensions de ma vie. Être en « colocation » avec la maladie, comme je l’appelle parfois, était une réalité omniprésente. Je me suis sentie enfermée dans ce rôle de patiente, tant sur le plan personnel que professionnel. Pour élargir mes horizons, j’ai décidé de me former au coaching. Dans cette nouvelle voie, je ne travaille pas avec des patients, ce qui me permet de prendre une pause de cette identité de patiente. Cela m’a apporté un nouvel élan et une respiration dans mon travail. Bien que toutes mes missions me plaisent, le coaching me permet de m’épanouir en tant que coach, pas seulement en tant que patiente.

Et pourquoi tu as voulu faire de l’analyse pratique ?

Lorsque j’ai intégré l’Université des Patients, j’ai ressenti un profond besoin de lien et de connexion avec d’autres personnes partageant une expérience similaire. Cette volonté d’échanger et d’apprendre des autres m’a amenée à m’intéresser à l’analyse pratique. Sous l’impulsion de mes collègues et de l’Université des Patients, j’ai eu l’opportunité de suivre une formation en analyse de pratiques au sein du GAPEX (Groupe d’Analyse de Pratiques d’Expertise Patient). Cette expérience m’a permis de développer mes compétences d’animation et de conduite de séances. J’ai découvert que l’analyse de pratiques offre un espace rare où règne une écoute sans jugement, favorisant le développement personnel et professionnel des participants. En tant qu’animatrice, j’ai appris à créer un cadre propice à la libre expression et à la présence authentique de chacun, ce qui permet aux participants de cheminer ensemble vers une meilleure compréhension de leurs pratiques et de leur identité professionnelle.

Que penses-tu de la pair-aidance en entreprise ? 

Pour moi, la pair-aidance est un outil essentiel qui transcende les barrières sociales. Il offre un espace privilégié où les individus peuvent échanger entre pairs, que ce soit pour les patients, les soignants ou tout autre groupe de la société. Contrairement aux relations traditionnelles, la pair aidance n’implique pas d’attentes mutuelles, mais plutôt un partage d’expériences et de soutien. Cela permet à la fois à celui qui reçoit le soutien de bénéficier de l’expérience de l’autre et à celui qui apporte son aide de trouver du sens dans son propre rétablissement. La pair-aidance se distingue des relations thérapeutiques par son caractère de partage authentique, où les participants parlent le même langage et vivent des expériences similaires, parfois sans même avoir besoin de s’exprimer verbalement.

Que penses-tu de la professionnalisation des patients, le fait qu’ils soient désormais rémunérés pour
accompagner ?

Je trouve que la professionnalisation des patients, avec une rémunération à la clé, est une démarche pertinente et valorisante, si c’est ce qu’ils souhaitent. Pourquoi ne pas reconnaître financièrement une pratique qui est bénéfique pour tous ? Personnellement, être rémunéré pour mon travail a changé la donne. Cela permet aux patients de s’engager dans des actions stables et durables. Et c’est ce que j’ai essayé d’expliquer à un monsieur qui était retraité et qui ne comprenais pas que l’on soit rémunéré, mais je lui ai expliqué que quand je suis tombée malade j’avais 35 ans, et j’ai été mise en invalidité à 40 ans, j’étais donc bloquée financièrement, coincée professionnellement, coincée pour les formations. Et à un moment donné, si je voulais faire des choses, développer des pratiques, payer mon loyer, il fallait bien que je sois financée et rémunérée.

Cependant, il est important de souligner que la professionnalisation ne doit pas être imposée à tous, chacun doit avoir le choix de rester bénévole ou de devenir professionnel selon ses besoins et aspirations.

Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur tes valeurs, dans le milieu professionnel notamment ?

Mes valeurs fondamentales sont l’authenticité, la liberté, le partage et la solidarité. Pour moi, l’authenticité est essentielle tant sur le plan professionnel que personnel. Je ne peux pas ne pas être authentique, même si cela comporte des aspects positifs et négatifs. La liberté est également primordiale pour moi, celle de pouvoir refuser des propositions qui ne font pas sens ou qui ne correspondent pas à mes valeurs. En ce qui concerne le partage et la solidarité, je m’inspire notamment de l’idée de “sororité dans l’épreuve”, évoquée par Colette Casimir, patiente partenaire dans sa thèse sur la sexualité des femmes atteintes du cancer.

Comment vois-tu ton approche dans l’accompagnement des personnes et des groupes ? 

Dans mon approche d’accompagnement, je me considère comme étant authentique et engagée. Je ne suis pas complaisante. Je suis simplement moi-même, connaissant mes limites et agissant là où je sais que je peux être utile, que ce soit dans mes accompagnements individuels ou en groupe. Je suis consciente de mes compétences et n’intervient que là où je sais pouvoir apporter une réelle valeur ajoutée. J’agis là où je sais que je suis utile. 

Aurais-tu un exemple à nous partager sur un de tes accompagnements où en est ressorti quelque chose de vraiment positif ?

Un premier exemple au niveau individuel :  j’ai accompagné une patiente partenaire qui était peu engagée dans le domaine du partenariat en santé. À travers nos échanges et un accompagnement informel, j’ai pu l’encourager à prendre conscience de ses capacités et de son potentiel d’action. Grâce à une approche qui s’apparente au coaching, elle a progressivement développé un fort engagement et est désormais force de proposition au sein de notre organisation. Cette transformation individuelle m’a procuré une grande satisfaction, en particulier lorsque je constate que cette personne met ses nouvelles compétences au service des autres.

Un second exemple au niveau collectif : j’anime un groupe d’enseignants en activité physique adaptée dans le cadre d’analyses de pratique. Leur retour positif témoigne des changements profonds qu’ils ont opérés dans leur vie personnelle grâce à cet accompagnement. 

“Je considère que mon rôle consiste à fournir un cadre et des outils, mais c’est avant tout eux qui ont su tirer profit de cette expérience pour leur propre développement.”

Cette réussite collective représente une grande source de satisfaction pour moi.

Est ce que tu aurais un conseil à donner aux entreprises pour accompagner leur collaborateurs qui traversent un défi similaire à ce que tu as vécu? 

Dans mon expérience, je soulèverais d’abord l’importance de la bienveillance dans les pratiques managériales. Ce qui peut sembler bien intentionné peut être perçu comme violent par ceux qui le reçoivent. J’ai vécu cette situation dans mon milieu professionnel où des actions bien intentionnées ont été mal interprétées et ont provoqué un sentiment d’exclusion et de stigmatisation de ma part. Il est crucial de se réunir autour de la personne concernée pour comprendre ses besoins réels, qui peuvent évoluer avec le temps. Construire un plan de carrière et d’intégration avec la personne, en lui laissant le temps nécessaire et en acceptant ses éventuels retours en arrière, est essentiel. Parfois, le chemin vers le retour au travail peut nécessiter des compétences externes à l’organisation interne. 

Il est également important de souligner que la bienveillance et l’aide ne sont pas innées. Cela apprend à être bienveillant envers les autres, ce qui n’est pas toujours enseigné dans la société. L’autonomisation des individus est un élément clé pour favoriser la qualité de vie au travail, et cela se construit en collaboration avec la personne concernée. En fin de compte, comme l’a dit Nelson Mandela, « Faire sans nous, c’est faire contre nous », soulignant ainsi l’importance de l’inclusion et de l’autonomisation dans les contextes professionnels.

Dans le contexte professionnel, il est souvent méconnu que les personnes ayant traversé des épreuves de santé peuvent apporter une valeur significative. Personnellement, j’ai suggéré d’utiliser mon expérience de patiente pour contribuer à mon entreprise, mais cette proposition a été mal comprise. Je voyais cela comme une façon de témoigner ma reconnaissance envers l’entreprise qui m’avait soutenue pendant mon arrêt maladie. J’avais l’intention d’aider les usagers, soutenir les managers et accompagner les patients dans mon service. Cependant, cette initiative a été mal interprétée. Il est regrettable que les entreprises ne saisissent pas toujours l’opportunité de valoriser les compétences et l’énergie des personnes ayant surmonté des difficultés de santé.

Aurais-tu un message de clôture que tu aimerais partager à ceux qui vont te lire ?

Pour être un bon patient partenaire, il est essentiel d’être authentique, de connaître ses limites et de prendre du plaisir dans ce que l’on fait. Il est également important d’agir de manière désintéressée, c’est-à-dire sans attendre en retour. La compétition entre différents acteurs de santé peut parfois se faire ressentir, mais des outils comme l’analyse de pratiques peuvent aider à mutualiser les efforts sans rivalité. Assumer pleinement son identité et reconnaître ses limites sont des aspects clés de cette démarche. De plus, il est primordial de déterminer ce que l’on souhaite réellement faire et ce que l’on préfère éviter, tout en prenant en compte sa santé et son bien-être.

Merci pour ce témoignage inspirant et sincère 

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