Lever les tabous sur la santé mentale en entreprise : une conversation avec Eva Mazur

25 mars 2024
A travers cette interview sur la santé mentale en entreprise, Eva, formatrice indépendante et pair-aidante, partage son expertise. Ayant contribué au développement de la communication et de la formation en santé mentale au sein du média L'optimisme, elle est co-auteure du livre "Aider : les clefs pour apprendre à observer, écouter et accompagner" (Michel Lafon, 2023). 
Son intérêt pour ce sujet est né de son expérience personnelle, où elle a constaté que ses proches étaient démunis face à ses crises psychiques. Son objectif est de renforcer le soutien social en entreprise en enseignant les bases de la relation d'aide en contexte professionnel. La pair-aidance, qu'elle pratique également, a été cruciale dans son propre rétablissement. Entretien.

Pourquoi la santé mentale des employés est-elle devenue une préoccupation majeure pour les entreprises ces dernières années ?

La santé mentale des employés est devenue une préoccupation majeure pour les entreprises, car elle affecte non seulement la productivité et la performance, mais aussi le bien-être général des collaborateurs et la qualité de l’environnement de travail.

Les problèmes de santé mentale entraînent une baisse de la motivation et de l’engagement au travail, ainsi que des arrêts longue durée, ce qui engendre des coûts financiers importants. En plus de cette préoccupation économique, de nombreuses entreprises reconnaissent désormais leur responsabilité sociale envers le bien-être mental de leurs collaborateurs. Cependant, aborder cette question nécessite une approche globale et holistique, prenant en compte une multitude de facteurs complexes.

Ce faisant, les entreprises peuvent non seulement améliorer leur performance économique, mais aussi favoriser un environnement de travail plus inclusif et respectueux, bénéficiant à la fois aux employés et à l’entreprise dans son ensemble.

Comment sensibiliser les employés à l’importance de la santé mentale en milieu professionnel ? Et quels sont les signes révélateurs de problèmes de santé mentale que l’on doit surveiller chez nos collègues ? 

La sensibilisation peut passer par différentes voies : la formation, une communication ouverte et non-stigmatisante sur ces sujets, la mise en place d’une politique et de pratiques favorisant l’équilibre et le bien-être au travail…Personnellement, j’ai tendance à penser qu’une sensibilisation au contact des histoires de vie des personnes sera toujours plus impactante qu’une formation descendante, détachée de ce qui est réellement vécu et des émotions traversées lors d’une épreuve psychique. Je crois beaucoup en la force et en la puissance du témoignage, au partage des savoirs dits “expérientiels” pour ancrer de façon durable les messages de prévention.

La souffrance psychique n’est pas toujours perceptible d’un point de vue extérieur, surtout dans l’entreprise où la détresse psychologique peut encore être assimilée – à tort – à de la faiblesse ou un manque de caractère. Il y a toutefois certains signes auxquels on peut être attentif en tant que collègue : une humeur triste persistante, l’isolement, des problèmes de concentration, des conduites à risque, une augmentation de la consommation de substances, une fatigue importante, une alimentation perturbée…

En formation, je donne souvent l’image de la maison pour se poser quelques questions basiques sur le potentiel mal-être d’un collègue : je vais dans la cuisine et je me demande s’il mange correctement ; je me rends dans la salle de bain pour m’assurer qu’il prend soin de lui et de son hygiène ; je fais un tour dans sa chambre pour avoir un aperçu de la qualité de son sommeil ; je vais dans le salon pour connaître s’il arrive à se détendre et avoir des loisirs ; je me rends dans le jardin et me demande “est-ce qu’il a une vie sociale, des activités plaisantes et des relations satisfaisantes?Mais ce qui fera la différence, au-delà de ce “repérage” très systématisé, ce sont surtout la qualité de nos liens au travail et le climat de sécurité psychologique qui permettent de mieux appréhender la détresse psychologique. Lorsque la parole est ouverte et accueillie, il y a moins de raisons de cacher une souffrance…même au travail ! 

Quelles sont certaines des mesures préventives que les entreprises peuvent prendre pour encourager la santé mentale de leurs employés ?

Les entreprises doivent repenser leur mode d’organisation, la valeur “travail” et celle du sens des tâches et des emplois en premier lieu. Il est sain de s’interroger quand on pense “santé mentale” des employés, sur le système dans son entier et ne pas mettre en place uniquement des actions qui seraient centrées sur les individus. 

A côté de cette réflexion, de nombreuses mesures préventives peuvent être envisagées, allant des programmes d’aide aux employés, en passant par les cellules d’écoute psychologiques externes ou la formation des Premiers Secours en Santé Mentale. Ce qui compte dans cette démarche de prévention, c’est que chaque acteur, à tous les échelons de l’entreprise, se sente concerné et prenne conscience de sa part de responsabilité. Parfois, la meilleure mesure de prévention, c’est notre collègue à la machine à café qui prend des nouvelles de nos enfants, nous sourit et nous fait une bonne blague. 

Comment les programmes de bien-être en milieu de travail peuvent-ils contribuer à améliorer la santé mentale des employés ?

Ces programmes fournissent souvent des informations et des ressources utiles pour l’amélioration du bien-être des collaborateurs de façon générale. On y trouve des stratégies pour la gestion du stress, la prévention du burn-out, la promotion du sommeil et d’une bonne alimentation etc. Des outils concrets peuvent aussi être transmis : des techniques de relaxation ou de méditation…Ce sont aussi des moments généralement appréciés par les collaborateurs pour leur convivialité. 

Toutefois, à mon sens, ces programmes de bien-être au travail ne sont pas l’unique réponse à apporter pour améliorer la santé mentale des salariés. D’une part, parce qu’il existe dans l’entreprise des problèmes psychiques qui relèvent du soin et du registre médical; d’autres part parce qu’une vraie transformation de fond sur les conditions de vie au travail et l’organisation doit être menée en parallèle. Sans cela, ces programmes peuvent devenir contre-productifs et renforcer les résistances. 

Quel rôle les gestionnaires et les responsables des ressources humaines peuvent-ils jouer dans la promotion d’une culture organisationnelle favorable à la santé mentale ?

Ces acteurs jouent un rôle important quant à l’impulsion qui peut être donnée en faveur de la santé mentale des collaborateurs en entreprise. Ils ont un rôle à jouer pour développer et mettre en œuvre des politiques RH en faveur de l’équilibre vie professionnelle et vie personnelle, du télétravail, des congés, des aménagements, par exemple. Par ailleurs, ils sont aussi des interlocuteurs privilégiés pour transmettre des ressources, faciliter une communication ouverte en interne sur le sujet de la santé mentale, mettre en place des accompagnements personnalisés, organiser des espaces de détente etc. 

Comment les pair-aidants peuvent-ils soutenir leurs collègues en difficulté sur le plan mental en milieu professionnel ?

Les pairs-aidants en santé mentale sont des individus ayant eux-mêmes vécu des troubles psychiques et qui sont en voie de rétablissement. Ils offrent un soutien informel basé sur leur expérience personnelle à leurs collègues, bien que cette pratique soit encore méconnue en France. Ces personnes peuvent fournir des informations, des ressources et un soutien précieux grâce à leur parcours. Leur propre épreuve les rend souvent plus empathiques et ouverts à l’échange, leur permettant d’offrir un soutien sans jugement et des espaces de parole sécurisants.

Quels sont certains des obstacles ou des stigmates auxquels les employés peuvent être confrontés lorsqu’ils cherchent de l’aide pour des problèmes de santé mentale en entreprise ?

Ils sont nombreux ! Je dirais tout d’abord la peur d’être exclu, de ne plus pouvoir évoluer professionnellement si le problème est connu de certains services et celle d’être stigmatisé.
Il y a encore trop d’idées reçues autour de la santé mentale et des troubles psychiques pour que les collaborateurs se sentent sereins d’exposer leurs difficultés psychologiques au sein de l’entreprise. Même sans aller jusqu’à parler de troubles psychiques (ce qui concerne pourtant un grand nombre de salariés français), le simple fait de montrer ses émotions dans certains contextes professionnels peut être perçu comme une marque d’incompétence ou de la sensiblerie. Or, plus que jamais, nous avons besoin de modifier nos croyances à ce sujet. La compétitivité, la course à la productivité, l’augmentation des facteurs de stress ne vont pas dans le sens de l’amélioration de la santé mentale des salariés ! 

Déjà, lorsqu’un collaborateur cherche de l’aide au sein de son entreprise pour un problème de santé mentale, c’est qu’il a fait un sacré pas ! Vient ensuite toute la question des ressources et des bons interlocuteurs : qu’est-ce qui existe dans l’environnement pour pouvoir être aidé au moment où cette demande émane ?
Nombreux sont ceux qui ne cherchent pas d’aide parce qu’ils ne pensent même pas que quelqu’un dans leur entourage professionnel puisse les aider. 

Ce qui est également dommage : des entreprises mettent en place des actions de soutien et d’accompagnement qui ne sont pas connues des collaborateurs, faute d’une communication interne efficace

Malgré ces freins, je suis persuadée que les choses commencent à évoluer dans le bon sens, à mesure que le tabou autour de la santé mentale se lève.

Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui cherchent à améliorer la santé mentale de leurs employés et à créer un environnement de travail plus favorable ?

J’aimerais surtout dire aux entreprises que le changement de mentalité est possible et qu’il existe une multitude de solutions que ce soit en termes de sensibilisation, de prévention, de formation, d’accompagnement etc. Parfois, j’ai vu de belles transformations à partir d’un seul individu qui, en interne, lève la main et s’empare du sujet. Il est certain qu’un intérêt authentique de la Direction en faveur du sujet est un atout indéniable. Mais quelle que soit sa place dans l’entreprise, chacun peut, à son échelle, contribuer à semer une petite graine et créer un environnement de travail plus favorable. La santé mentale en entreprise est une question d’engagement individuel et collectif à tous les niveaux. 

Merci pour ce témoignage qui nous éclaire sur l’importance de la prise en compte de notre santé mentale également en entreprise.

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