Bonjour, je m’appelle Nathalie Die. J’ai 52 ans. Il y a cinq ans, j’ai eu un cancer du sein que j’ai suspecté moi-même. Ce fut quelque chose d’assez brutal et d’inédit dans ma famille. Je n’avais pas de surveillance particulière, ce fut donc très surprenant. Mon médecin était toujours surpris de la sérénité avec laquelle j’ai abordé les étapes parce que pour moi, il y avait un cancer, il fallait qu’on s’en occupe, il fallait qu’on le gère.
A l’issue de ce qu’on appelle les gros traitements, on pense que le cancer est fini, on tourne la page, tout va bien. Sauf qu’au bout de six mois de traitements lourds, le corps est très fatigué. Il y a beaucoup de choses qui bougent dans les lignes autour de soi, autour de la famille, autour du travail, autour des loisirs, des amitiés, de plein de choses. Et puis moi, ce dont j’avais vraiment besoin, c’était de me reposer, de me poser. J’ai fait un cancer plutôt que de faire un burn-out. Pour moi c’était vraiment le signal d’alarme, qu’il fallait des choses qui changent dans ma vie et dans ma façon de fonctionner. Donc, j’ai pris le temps de me remettre, de me ressourcer. J’ai rencontré de nouvelles problématiques comme des globules blancs qui étaient très bas donc je n’ai pas pu reprendre mon travail tout de suite comme je le voulais.
Finalement, j’ai repris mon travail qu’au printemps 2019 soit deux ans et demi après mon diagnostic. Pendant que j’étais dans cette période de convalescence, j’ai eu envie de faire quelque chose de cette expérience du cancer. J’ai découvert par l’intermédiaire de mon médecin le rôle de patients partenaires, j’ai ainsi candidaté sur des formations pour prendre cette orientation. Au cours de l’année 2019, j’ai fait un certificat universitaire en éducation thérapeutique du patient en maladies chroniques à la faculté de médecine de la Timone à Marseille.
Puis en 2020, j’ai enchaîné avec un diplôme universitaire de patient partenaire d’accompagnants en oncologie. Cette fois-ci plus spécifique autour de ma pathologie où on apprend à passer de l’expérience de la maladie pour soi à l’expertise de la maladie pour accompagner les autres. Et enfin j’ai aussi repris mon travail à temps partiel thérapeutique.
Un livre 📖.. J’aime beaucoup lire depuis toujours, de différentes façons et sur différents supports, ce que je lis sur des supports papier, électronique, ou même audio.
J’ai beaucoup écouté de livres audios pendant ma convalescence quand je partais marcher plusieurs heures. Je choisis le livre pour plusieurs choses. Tout d’abord l’évasion que cela procure. Dès que je plonge dans un livre, ça y est, je suis ailleurs. Je sors de mes pensées. Et puis le livre aussi, parce que ça permet d’apprendre beaucoup de choses. Je fais partie d’un groupe de lecture. Je me suis fixée comme objectif d’essayer d’alterner entre un livre plus détente, un roman, un livre plutôt classique (j’ai du retard dans ce domaine-là) et des livres plutôt développement personnel autour de la psychologie, cancérologie, accompagnement…
Ce qui a été déstabilisant pour moi c’est que tout était nouveau autour de ça. J’aurais bien aimé pouvoir bénéficier d’un accompagnement de personnes qui avaient déjà vécu un cancer qui soit plutôt autour de mon âge.
J’ai besoin d’être accompagné ou au moins d’avoir des éléments qui me permettent de faire mes propres choix. Et ça a été quelque chose qui m’a beaucoup manqué, au moins pendant la première année. Parce que la deuxième année, j’ai fait du sport adapté avec de l’escalade spécifiquement adaptée aux femmes qui avaient un cancer du sein. Je me suis donc retrouvée avec des femmes qui traversaient un parcours similaire. Finalement c’était très aidant et il y a des amitiés qui se sont liées à ce moment-là, qui existent toujours.
Malgré tout je restais très optimiste. La maladie était une parenthèse et après, je retrouverai mon physique, ma vie, tout ce qu’il y avait avant. Il y aurait un avant et après, c’était sûr. Mais pour moi, c’était hors de question que cette maladie me prenne tout ce que j’avais encore envie de vivre. Et le soir où je me suis faite opérée, j’avais 47 ans et je me suis dit 47 fois 2, c’est pas mal. On va dire qu’aujourd’hui, je décide que je vais doubler mon espérance de vie et que comme ça, j’aurai la joie de voir grandir mes enfants et peut être mes petits-enfants et peut être mes arrières petits-enfants si ce n’est pas trop tard.
Alors moi, je n’avais pas du tout pensé à ça. J’ai commencé à y penser quant à l’hôpital les infirmières me disaient la semaine prochaine c’est la dernière chimio. Après, c’est fini, on vous verra plus. On n’a plus notre place à l’hôpital mais on n’a pas encore notre place au travail. Et moi, je n’avais pas du tout pensé à ça comme cela. Je me suis dit que ça allait être une étape. Et quand tu arrives dans cette période, on ne te dit pas tout de suite que tu es en rémission parce que ce n’est pas le cas. Au départ, on te dit que c’est la fin des traitements. C’est vrai que l’agenda se vide. Et du coup, tu peux te retrouver un peu déstabilisée.
Je me suis rendue compte qu’effectivement, après le cancer et après cette prise en charge thérapeutique ou après l’annonce de la rémission, il n’y avait presque rien ou vraiment pas grand-chose. Pendant mes études, j’ai su qu’il y avait eu un gros mouvement aux États-Unis il y a une vingtaine d’années sur les survivants du cancer qui s’appelle « les survivants ». Ils se sont battus pour ne pas être mis de côté par la société et continuer à avoir une vie professionnelle, une vie de loisirs, une vie d’amour, une vie normale.
En France, il y a encore beaucoup à faire pour construire ce temps de l’après.
Les patients ne sont pas toujours prêts à retourner dans leur vie d’avant parce que les choses ont changé. Il y en a qui changent complètement de vie. Il y en a qui quittent leur conjoint.e, changent de travail, changent de région. Effectivement, c’est quelque chose qu’il faut vraiment travailler et vraiment préparer, en tout cas moralement.
Aujourd’hui, l’après cancer, c’est beaucoup encore les soins de support. Pour une femme par exemple c’est apprendre à se maquiller pour continuer à être belle pendant les chimiothérapies. C’est apprendre à faire en sorte de ne pas avoir un crâne nu parce que quand même, ça choque les gens. Et c’est très violent parfois ce qu’on demande à des femmes. Moi, je trouve que ce n’est pas quelque chose qui me satisfait vraiment parce que chacun est libre d’arriver avec des cernes et pas forcément maquillée.
Je pense qu’il y a une grande marge de manœuvre à avoir autour des soins et autour des soins de support post cancer.
On m’a dit « les traitements sont finis, on ne veut plus vous voir à l’hôpital » donc assez expéditif. Comme je suis quelqu’un de volontaire et puis que j’avais du temps devant moi, je me suis dit je vais mettre à profit ce temps-là pour faire des choses que j’avais plutôt envisagé à la retraite. Je suis allée à l’université du temps libre, m’initier à l’aquarelle. J’ai fait des ateliers d’écriture, j’ai fait de la couture, j’ai fait plein de trucs que je n’aurais pas fait si j’étais au travail. Quand tu fais des semaines de 40 ou 50 heures, tu n’as pas trop le temps de placer tous ces loisirs-là. J’en ai profité pour reprendre des études comme j’ai dit tout à l’heure. J’ai beaucoup lu. J’ai entretenu des amitiés qui c’étaient créées.
Exactement, alors que je pense que c’est vraiment un temps qui devrait vraiment être accompagné car cela nécessite une introspection des personnes. Est-ce que je veux retrouver la même vie qu’avant ? Est-ce que je veux changer de métier ? Qu’est-ce que je vais faire ? Est-ce que j’en ai envie ? Je pense que ça serait vraiment bien de pouvoir accompagner les gens dans ce point d’étape.
Et puis dans l’accompagnement aussi de cet après cancer au niveau physique, par exemple. Je ne l’ai pas dit quand je me suis présentée, mais j’ai créé un atelier autour des troubles cognitifs en lien avec le cancer parce que j’ai été moi-même touchée par ce problème. Personne n’était en capacité de me dire ce que c’était, j’ai cru que j’allais devenir folle.
Je me suis dit je ne vais jamais réussir à retravailler.
Un de mes fils à table me dit « tu vas rester comme ça ? » Cela fait 3 fois que tu poses la question pendant le repas. Je me suis retrouvée avec un vide complet où, à l’hôpital, on m’a dit c’est la fatigue et la dépression, alors que c’est une vraie pathologie, qu’il y a quand même entre 20 et 71% de femmes qui ont un cancer du sein, qui sont touchées par ce trouble. C’est énorme et il n’y avait aucune indication. Sans faire une liste à la Prévert, il serait bon d’être aiguillé et accompagné.
J’ai été très bien accueillie à mon retour par mes collaboratrices et mon environnement proche. Sauf qu’effectivement, pendant deux ans et demi d’absence, il y a eu seulement quelqu’un pendant six mois pour me remplacer. Donc, je ne savais pas par où commencer pour récupérer deux ans et demi d’absence. En plus, j’ai repris à mi-temps thérapeutique. C’était vraiment difficile de faire rentrer en 17h30 de travail ce que je faisais rentrer dans 50 heures avant. C’était mathématiquement impossible, il a donc fallu que je priorise. J’ai une amie qui est psychologue du travail qui m’a dit : « je pense que le plus important au redémarrage, c’est de prioriser sur les missions que tu aimes faire, parce que c’est ce qui va t’aider à récupérer avec plus d’énergie, à remonter en compétence professionnelle ». C’est ce que j’ai essayé de faire et franchement ce n’est pas évident.
Ce qui est difficile, c’est de dire je suis obligée de laisser ça, je ne peux pas faire ça. Ça a été assez difficile de trouver un rythme et d’être obligée de renoncer. Vous m’avez connu comme ça, j’étais hyper efficace mais maintenant je ne suis plus capable de faire un compte rendu en une demi-heure. Il va me falloir plus de temps. C’est une succession de deuils et de renoncements. Je ne serai peut-être plus jamais cette personne là avec ses capacités de travail et c’est ce qui est vraiment difficile. Je disais à une amie que je suis vraiment passée du faire à l’être, la lenteur ça amène à ça aussi. Je fais des choix.
La priorité des priorités, c’était la marche. C’est à dire que tous les jours, hormis le lendemain des chimio où je n’arrivais pas à me tenir debout, j’allais marcher. J’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup marcher. J’habite dans une petite ville (c’est la plus grosse ville du département, mais petite ville) donc j’ai beaucoup d’espaces autour de moi qui m’ont permis ça. J’ai beaucoup lu. Je me suis engagée dans des activités différentes de celles que je pratiquais habituellement comme je l’ai évoquée tout à l’heure (Université du temps libre, initiation à la peinture, au dessin, à l’écriture…). Je me suis inscrite comme bénévole dans une bibliothèque pour tous.
Toutes ces choses-là m’ont permises de découvrir d’autres aspects de moi-même. Ça m’a aussi permis de rencontrer d’autres personnes, c’est -à -dire que j’ai créé des amitiés, des liens avec des personnes à ce moment-là. Cela a amené plein de nouvelles énergies, de nouveaux environnements qui sont hyper intéressants autour de moi et que j’ai gardé après par la suite. C’était chouette et maintenant, je manque de temps pour faire tout ça.
J’aimerais travailler au maximum trois jours par semaine. D’une part, parce que mon travail me demande beaucoup d’énergie, comme je l’ai dit, mais aussi parce que j’ai envie de m’impliquer dans d’autres choses dans lesquelles je me suis investie, comme par exemple l’accompagnement d’autres malades. J’ai vraiment envie de mettre à profit ces formations et les compétences acquises dans ce domaine. Et puis de garder du temps pour moi aussi.
Mais ça se construit aussi notamment financièrement car je ne suis pas seule.
Ça s’est passé comme ça, le médecin dont je suis très proche, mon acupuncteur qui m’a beaucoup accompagné pendant mon cancer mais avant également. Il était très mal à l’annonce. En fait j’ai pensé à 2 personnes au moment du diagnostic à mon mari car sa maman est décédée d’un cancer du sein et à mon acupuncteur. En fait 9 mois avant, il m’avait dit ça ne peut plus continuer comme ça, vous avez trop de pression, les voyants sont au rouge. Si vous ne faites pas quelque chose, il y a quelque chose qui va péter. Neuf mois après un cancer, donc vraiment, je me suis dit que le cancer, c’était pour arrêter mon corps et il avait raison. Donc je l’ai appelé pour lui dire pour le cancer et il n’était pas à l’aise de m’avoir dit ça.
J’échange beaucoup avec lui et un jour je lui dis : « qu’est-ce que je vais en faire de ce cancer ? Pour moi, il fallait qu’il serve à quelque chose hormis les priorités que tu aurais établies dans ta vie, les choix que tu décides de faire. Et c’est là qu’il me dit être patient partenaire. Le soir, je suis rentrée chez moi, j’ai cherché sur Internet des précisions. J’ai vu l’Université de la Sorbonne à Paris et notamment le diplôme universitaire de patient partenaire en oncologie. Je me suis dit c’est ça que je veux faire. J’ai fait ma lettre de candidature tout de suite. Une heure après, le médecin en charge des recrutements m’a appelé en me demandant mon projet auquel je n’avais pas exactement réfléchi. Et puis, en parallèle, j’ai candidaté pour le certificat universitaire à Marseille où j’ai été recontactée pour un entretien.
Il y a 12 places, vous êtes 300 candidats. Je me suis questionnée sur mon projet et c’est le moment où je me retrouvais au fond du trou de mes troubles cognitifs. Et je me suis dit qu’il faut vraiment qu’on fasse quelque chose. Il faut arriver à faire en sorte qu’on en parle le plus possible et je vais créer un atelier pour accompagner les gens. Donc l’année d’après, j’ai construit mon atelier. J’ai commencé mon atelier au profit de la Ligue contre le cancer des Hautes-Alpes et en parallèle, j’ai à nouveau postulé au diplôme universitaire et j’ai été retenue.
En parallèle sur mon territoire de vie, il y a un groupe d’éducation thérapeutique du patient pour le cancer qui a été mis en place et j’ai candidaté pour pouvoir le faire même si ça faisait deux ans que j’avais fini mes traitements. C’est tout ce dont j’aurais rêvé durant mon parcours de soin. Cela a aussi été le sésame pour pouvoir démarrer le certificat universitaire parce que je suis arrivée avec une lettre de recommandation de ce groupe disant que si j’étais diplômée je pourrais intégrer ce groupe comme patiente partenaire dans ce groupe ETP.
Alors pour l’instant, j’ai accompagné peu de personnes. Les personnes que j’ai accompagné, ce sont beaucoup des personnes qui me sont envoyées par ma kiné, qui m’a elle-même beaucoup accompagnée pendant la maladie et qui s’est spécialisée dans l’accompagnement des femmes ayant un cancer du sein depuis une vingtaine d’années. Elle a vraiment été la personne ressource pour moi et on a beaucoup échangé, c’est elle qui m’a appris le plus de choses. Sachant ce que je faisais, elle m’oriente de temps en temps des patientes. Ce sont des patientes qui sont vraiment en plein dans les traitements.
Et comme le rôle de patients partenaires, ce n’est pas d’apporter des solutions, c’est d’écouter donc j’arrive à mettre de la distance que ce soit à travers des accompagnements individuels, des ateliers ou des conférences. Je me suis rendue compte qu’en fait, quand je suis dans ces rôles-là, je ne suis plus dans la maladie, c’est -à -dire que je suis celle qui s’en est sortie. Je suis la personne en rémission et qui peut apporter des choses à d’autres qui sont dans cette difficulté-là. Donc si l’expérience peut servir pourquoi pas ?
C’est de pouvoir en parler, de pouvoir dire l’effet que ça fait. Qu’est-ce que ça provoque chez moi ? Est-ce que je me sens seul ? Est-ce que j’ai peur ? Mais surtout le ressenti est très différent d’une personne à l’autre.
Au niveau professionnel, j’aimerais pouvoir lever le pied de mon métier actuel sans abandonner afin de me dégager du temps libre pour me consacrer à d’autres projets autour du patient partenaire notamment. J’ai monté mon auto entreprise l’année dernière pour avoir une certaine légitimité vis à vis de ces actions-là : accompagner des patients, continuer les ateliers sur les troubles de la mémoire en lien avec le cancer, continuer les ateliers d’éducation thérapeutique quand il y en a qui se mettent en place, pouvoir démarrer aussi comme intervenant extérieur sur de l’éducation thérapeutique et pas seulement de ma place de patient partenaire.
J’ai été sollicitée pour la co-construction d’un programme autour de l’éducation thérapeutique spécifique cancer du sein sur l’Occitanie, qui va démarrer en 2022. L’objectif c’est de me consacrer à tout ça et d’avoir du temps libre pour moi et faire ce qui me nourrit et ce qui me plaît.
Merci beaucoup Nathalie, de beaux projets en perspective. C’était riche et plein d'enseignements. Nous sommes ravis de ton témoignage.
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