Estelle Wolffer est infirmière et consultante STT (sécurité et la santé au travail). Elle accompagne les entreprises dans le cadre de leur stratégie en proposant des formations adaptées, la création d'espaces de discussion, la co-construction d'une politique santé/sécurité et l’amélioration des conditions de travail. De toute cette expertise, elle évoque le deuil de l’état de santé antérieur, comment le vivre dans le cadre professionnel, comment être accompagné, qui peut agir ? Entretien.
Étymologiquement, le mot deuil est dérivé du mot latin dolus, qui signifie douleur. Donc si on voulait essayer de définir le deuil, on pourrait dire que le deuil est un état affectif de souffrance qui est provoqué par une perte vécue douloureusement, et qui va conduire à une période de chagrin.
Mais il faut donner plus de largesse au terme. Le deuil c’est une mécanique complexe. C’est un processus adaptatif qui demande du temps et qui est nécessaire. L’objectif final du deuil est d’arriver vers un état de guérison. Mais la guérison, suivant la pathologie, correspond plutôt à la guérison de l’âme, donc l’acceptation de la situation et des étapes qui vont suivre. Je préfère parler d’apaisement durable, de sérénité acquise ou d’acceptation.
Quand on perd son intégrité de santé, ses capacités de santé, il y a un deuil à faire parce qu’il y a une perte, et ça peut être vécu douloureusement. Je dois prendre conscience qu’il y a des étapes à passer qui demandent du temps et de la patience.
William Bridges [auteur, conférencier et consultant en organisation américain., NDLR] citait : « Notre vie est une succession de transitions ». Donc chaque transition consiste à faire le deuil de la situation antérieure que l’on quitte. Le deuil va consister à retrouver un équilibre émotif et cognitif dans la vie malgré la modification de la situation. Il y a une notion de mouvement.
Au sujet des maladies, trop peu d’entre nous mettent le mot deuil sur ces situations-là. Il y a un deuil à faire pourtant, de l’avant où l’on pouvait faire certaines choses sans souci, sans problème. On a notre travail, nos collègues, et là c’est fini. On nous annonce le diagnostic d’une maladie. On peut parfois entendre les mots invalides, travailleur handicapé. Alors comment on vit dans cette nouvelle situation là ?
Il n’y a pas de bons conseils mais il y a quand même des choses à faire. Déjà, savoir qu’il y a des choses à faire. Il n’y a rien de pire que de subir une situation.
L’annonce, le deuil d’une maladie, c’est subi. Il y a les étapes du deuil ensuite, qu’on passe ou qu’on ne passe pas. Mais pour l’être humain, subir une situation, c’est anxiogène, délétère et ça peut même créer de lésions définitives. Donc on a besoin de reprendre les choses en main, la « pro-activité » est essentiel.
On ne pourra pas revenir à l’état de santé antérieur, pour autant l’individu a besoin de récupérer la main sur certaines choses. La prise de conscience d’un deuil à passer est la première étape. Se donner du temps pour le faire est la seconde. . Pour pouvoir le faire, il faut être au clair avec la prise de conscience qu’on a un deuil à passer, que l’on va se donner du temps pour la faire.
C’est important, pour nous personnel soignant, que l’on aide les gens à mettre des mots sur ça. Et il y a des choses à faire. Prendre soin de soi, faire des choses qui nous font du bien. Se faire masser, aller marcher dans la nature fait du bien puisque chimiquement il se passe des choses dans la tête. Participer à un groupe de soutien aussi, ça offre un soutien social pour tenir bon et pour tenir tout le long de la tempête. Se donner le droit d’être une personne en souffrance. C’est important d’être tolérant, d’être doux avec soi-même.
Il faut décider ce qui est bon pour soi. Il y a le côté psychologique qui est très important. Il faut aussi trouver le bon thérapeute. Et travailler parallèlement avec le corps, il y a la sophrologie, la méditation
Des fois, on voit des apparitions de troubles post traumatiques. C’est pour ça que l’EMDR est quelque chose que je conseille parfois par rapport à l’état de santé antérieur, à l’acceptation de l’état de santé antérieur.
C’est essentiel aujourd’hui que ce soit un sujet. C’est important que les services de santé au travail, que les services de soins se penchent dessus. Il faut qu’on arrête d’avoir la pensée magique que les gens vont y arriver tout seul. L’entreprise, les services de santé au travail et les médecins traitants ont une carte à jouer. Cela implique de se parler, de communiquer. Il y a un travail d’informations, d’accompagnement à réaliser.
Pendant un arrêt de travail, il est possible de réaliser une formation, un bilan de compétences, ou préparer son retour dans le monde du travail. Un arrêt de travail, ce n’est pas un arrêt de vie, c’est une suspension du contrat de travail sur un poste actuel.
L’arrêt de travail c’est important, parce qu’il permet aussi de préparer le retour au poste de la personne avec des aménagements à la suite d’une pathologie par exemple. Cela peut être des aménagements d’horaires, de postes de travail. C’est pour ça que la visite de pré-reprise est essentielle pour les personnes qui ont eu une modification de l’état de santé. Seules les personnes concernées et les médecins traitants peuvent en faire la demande.
Quand on s’y met tous, pour quelqu’un qui a une pathologie, on arrive à trouver des accompagnements, du maintien dans l’emploi. Collectivement, cela devient riche pour tout le monde. Donc d’une problématique individuelle, on arrive à en faire quelque chose de bon pour tous.
Parler du deuil, suite à son état de santé, c’est pour moi une question de santé publique.
S’il y avait un conseil à donner aux proches est de prendre soin d’eux. Consulter un professionnel est intéressant afin d’avoir une oreille et des conseils. Il y a un sentiment d’impuissance subit et très présent. C’est aussi compliqué pour eux, ils ne voient pas comment ils peuvent aider et on est souvent dans la logique, problème égal solution. Donc on se sent toujours obligé d’aller proposer une solution aux autres. Et ce n’est pas forcément le moment. On ne peut pas se mettre à la place de l’autre personne. C’est elle qui a les ressources, qui peut amorcer ce virage. On peut accompagner, on peut aider, on peut soutenir, maintenir le lien pour éviter l’isolement que ça peut générer, mais on ne peut pas faire le chemin à leur place. Il y a beaucoup de patience à avoir de la part des aidants. Et malheureusement pour certains d’entre eux, ils peuvent être la cible de la colère qui est l’une des étapes du deuil.
C’est Elisabeth Kübler-Ross, en 1976, qui a décrit les 5 étapes du processus de deuil. Chaque deuil étant unique, les étapes ne se font pas dans le même ordre pour tout le monde. Mais il y a d’abord le choc et le déni, la colère, le marchandage, la phase dépressive réactionnelle et la phase d’acceptation.
Les personnes passeront par tous ces stades, mais pas forcément dans le même ordre, avec la même récurrence.
Donc si on parle du deuil de l’état de santé antérieur, prenons par exemple quelqu’un de bipolaire, la phase d’acceptation ça peut aussi être j’ai fait des tests, j’ai vu que j’étais capable de tenir le traitement médical, je vois que j’arrive à me retrouver moi en tant qu’individu sur ça. Il y a un phénomène de cicatrisation qui commence à se faire par rapport à toutes les failles qui y a pu avoir. Et le soutien thérapeutique par un professionnel reste à ce stade là encore nécessaire. Il faut arriver à soutenir les efforts de je me redéfinis en tant que personne. Arriver à soutenir la personne dans le je me réinvente en fonction de tous les éléments et avec les champs de tous les possibles et de tous les impossibles.
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