Aurélie Tinland est psychiatre à l'AP-HM (Assistance publique – Hôpitaux de Marseille), responsable d'une équipe mobile psychiatrique et d'un centre de réhabilitation psycho-sociale. Co-porteuse du projet CoFoR, centre de formation au rétablissement, Aurélie Tinland œuvre également pour une société plus inclusive en matière de santé mentale au sein d'un laboratoire de recherches à l'université d'Aix-Marseille. Son objectif ? Permettre le rétablissement des personnes qui souffrent de troubles psychiques et lutter contre la psychophobie. La pair-aidance s'inscrit comme un thème transversal à chacun de ces projets. Entretien.
C’est un concept très ancien et il existe d’ailleurs beaucoup de pair-aidance informelle. N’importe quelle personne qui a la même expérience qu’une autre, aura plus de facilités à se confier à cette personne. Partageant la même expérience, ces personnes créent entre elles, une compréhension plus réelle et accessible. La pair-aidance permet également de dévoiler une expérience dont on a honte.
Les pairs-aidants ont effectivement encore plus d’importance en santé mentale car il y a, dans ce domaine, très peu de figures de rétablissement connues. Les maladies psychiques sont toujours très stigmatisées même si on remarque des évolutions récentes avec des stars qui n’hésitent plus à faire part de leurs troubles, ce qui aide à faire reculer la stigmatisation.
Mais ces célébrités restent des figures lointaines. Et en santé mentale, il est vraiment compliqué de se représenter une personne rétablie. Recruter des personnes rétablies permet donc aux personnes malades de les rencontrer, leur parler et de se sentir proches d’elles, sans jugement, ce qui est très rare en psychiatrie.
En santé mentale, les parcours des malades sont extrêmement difficiles et traumatisants, les pairs-aidants ont en commun d’être en paix avec ce parcours, suffisamment en tout cas pour avoir envie de travailler avec ce parcours. Par ailleurs, il ne suffit pas d’avoir l’expérience du rétablissement pour être pair-aidant, car il ne s’agit pas d’expérience brute, il s’agit de savoir. Ce sont des personnes qui ont suffisamment de recul sur leur expérience, pour en avoir fait un savoir. Elles ont appris à parler de leur histoire sans se mettre en difficulté et ont envie d’accompagner d’autres personnes.
Il faut donc être capable de recevoir beaucoup de souffrance. D’ailleurs, certaines sont plus à l’aise dans la formation, d’autres dans l’accompagnement individuel, d’autres dans la recherche. Mais toutes ces personnes ont en commun d’avoir envie de faire quelque chose de constructif de leur expérience.
Toutes ont réussi à retourner les stigmates et veulent affirmer qu’elles ne sont pas que des étiquettes. Toutes s’engagent à retourner le système.
Ce n’est pas tant le fait d’être confronté à une personne rétablie que le fait de comprendre que le rétablissement est possible et de comprendre la visée de ce rétablissement. Rencontrer une personne rétablie aide car d’habitude on se représente la maladie mentale comme quelque chose de très passif : il faut attendre que le médicament agisse. Mais le rétablissement nécessite d’être actif : c’est un engagement et beaucoup de responsabilités. Il faut comprendre qu’on peut vivre avec des symptômes mais qu’il y a des phases et des étapes pour y parvenir. Il ne s’agit d’ailleurs surtout pas d’annihiler les difficultés liées à la maladie. Toutefois, rencontrer quelqu’un qui vit avec des hallucinations mais qui réussit à travailler, cela change vraiment la perspective.
Savoir que c’est possible de travailler, vivre, avoir des enfants, c’est très aidant.
C’est un véritable changement de paradigme ! La pair-aidance nous oblige à voir les choses d’une manière totalement différente. Elle nous oblige à avoir comme objectif le rétablissement, ce qui n’est plus du tout le même objectif que l’absence de symptômes.
On ne travaille plus de la même manière : si on ne veut plus de symptômes, on rajoute des médicaments. Avec la pair-aidance, on s’interroge sur les rêves, les forces, les marges de progression des personnes. L’objectif est qu’elles aient une vie qui leur plaise. Si on y arrive, elles ont moins de symptômes mais ce n’est pas le but premier. C’est un changement de paradigme au service d’une meilleure santé qui s’intègre toutefois dans un arsenal qui a aussi fait ses preuves (médicaments, suivi psychologique…) Les pairs-aidants ne remplacent pas tout cela.
Accès à l’emploi, accès au logement, accès aux droits, accès à l’éducation… la pair-aidance pousse la psychiatrie vers des zones qui ne sont plus uniquement sanitaires.
C’est tout ce qu’on fait dans les centres de réhabilitation psycho-sociale. Dans ces centres, les pairs-aidants sont d’ailleurs très bien intégrés, car c’est le même timing. On est sur du plus long terme – le rétablissement, la réhabilitation sociale, la responsabilité de l’individu. Tout cela s’inscrit sur un temps beaucoup plus long que dans les services hospitaliers où on traite les crises et des symptômes aigües.
L’idée de faire de ces personnes paires-aidantes des vrais professionnels est née aux États-Unis et au Canada. En France, cela fait dix ans que ça existe, il s’agit d’un métier encore très jeune.
Il est parfois arrivé que cela se passe mal avec les équipes de soins. Celles-ci ne sont pas toujours préparées à l’arrivée de ce patient aidant. Mais on progresse et on sait désormais qu’il faut former les équipes à la pair-aidance et au rétablissement avant qu’elles accueillent un pair-aidant.
Quand cela se passe bien, on se rend compte que ces équipes luttent contre la stigmatisation au quotidien, sont plus attentives, plus vigilantes sur ces questions et comprennent qu’il n’y a pas d’un côté, les professionnels et de l’autre, les malades. La présence du pair-aidant les aide à progresser sur ces questions. Leur regard change et elles sont beaucoup plus attentives aux besoins des usagers.
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